... 5 Sens ...

J'allume de l'encens. J'approche l'allumette du bâtonnet brun, la flamme lèche presque amoureusement ce qui extasiera mes sens dans quelques secondes. Craquer l'allumette me rappelle ce premier rendez-vous, dans un petit restaurant perdu, où pour la première fois, j'ai entendu quelqu'un me déclarer sa flamme. Me rappelle ces petites bougies que j'allumais dans un temps lointain pour parfaire une ambiance déjà tamisée. Me rappelle que j'ai envie d'en allumer en présence d'une certaine personne qui ravi à elle seule mes cinq sens endormis jusqu'ici. Autiste depuis quelques semaines-mois-années, le trop plein d'émotions tue-t-il l'émotion...A croire, je reste avec ce bâtonnet dans une main, cherche du regard le support de bois que j'avais déjà à la gare, puis sous les toits, puis ici. Qui a vu défiler toutes sortes de senteurs plus exquises les unes que les autres, embruns de fleurs d'été, chocolat chaud, vanille, musc, et je me risque à allumer aujourd'hui les souvenirs du bois de santal qui me rappelle à lui seul le restaurant chinois où j'ai regardé un homme dans les yeux pour lui dire que je l'aimais. Où j'ai plongé corps et âme dans ce qui fera de ma vie une longue histoire compliquée. Je regarde les volutes s'éparpiller dans l'atmosphère lourde de ce jour de printemps. Dans un rayon de soleil tardif, le mur de fumée se disperse, éclate, roule, court, meurt... Et laisse dans l'air une subtile note orientale. Inspiration, expiration. Je regarde comme une gosse la cendre se courber sous son propre poids et  tomber, langoureusement elle aussi, sur ce morceau de bois aux innombrables secrets du passé. Regarde Amélie, regarde comme la vie est identique à ce bâtonnet. Elle se consume doucement, laisse des traces... Regarde et sens, comme malgré l'air lourd, tout est si paisible. Touche la douceur du souvenir de ce petit bâtonnet façonné pour le plaisir des sens. Entends à nouveau le craquement de l'allumette et le crépitement des premières secondes, aussi vive que la naissance, difficile à prendre et voit ce petit morceau rouge s'habituer au monde qui l'entoure pour y apporter quelque chose de léger... Il a suffit d'une allumette, d'une flamme. Et je suis loin de tout. Loin dedans. Je regarde toujours derrière, pour mieux apprécier l'avant. J'aime ces moments doux où rien d'autre ne compte. Où j'oublie tout. Où je palpite sans en avoir l'air. Où rien ne laisse transparaître l'activité intérieure. J'aime ce genre de moment.

Ah! J'aime.

Et tu me manques. :*